Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 septembre 2023, 21-83.673, Publié au bulletin
Cour de cassation – Chambre criminelle
N° de pourvoi : 21-83.673
ECLI:FR:CCASS:2023:CR00984
Publié au bulletin
Solution : Rejet
Audience publique du mercredi 27 septembre 2023
Décision attaquée : Cour d’appel de Papeete, du 20 mai 2021
Président
M. Bonnal
Avocat(s)
SARL Ortscheidt
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAISLA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° G 21-83.673 FS-B
N° 00984
RB5
27 SEPTEMBRE 2023REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 SEPTEMBRE 2023Le procureur général près la cour d’appel de Papeete a formé un pourvoi contre l’arrêt de ladite cour d’appel, chambre correctionnelle, en date du 20 mai 2021, qui a relaxé MM. [Y] [H], [Z] [J], [K] [F] et Mme [X] [O], épouse [F], des chefs, notamment, pour le premier de provocation à l’abandon d’enfant, faux document administratif et obtention indue de document administratif, pour le deuxième de provocation à l’abandon d’enfant et usage de faux document administratif, pour le troisième de complicité d’obtention indue de document administratif et complicité de faux document administratif, et pour la quatrième d’usage de faux document administratif et complicité d’obtention indue de document administratif.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un avis le 5 avril 2023 (n° 15004).
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de MM. [Y] [H] et [Z] [J] et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l’audience publique du 28 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre, la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
- Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
- La direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DSFE) a adressé un signalement au procureur de la République après la visite, dans le courant du mois d’octobre 2020, d’un travailleur social au domicile de Mme [X] [O], épouse [F]. Celle-ci lui a, en effet, déclaré qu’elle a « donné son bébé » à M. [Y] [H] qui a reconnu l’enfant comme étant le sien auprès des services de l’état civil.
- MM. [H] et [Z] [J], résidents en Polynésie française, avaient pris contact avec la cellule d’adoption de la DSFE au mois de janvier 2020 et avaient déposé une demande d’agrément qu’ils ont confirmée au mois de juin 2020 avant de l’annuler le 7 octobre suivant.
- Le 23 juin 2020, ce couple a fait l’objet d’un signalement, auprès de la DSFE, par le centre hospitalier de la Polynésie française pour avoir distribué, à la maternité de cet établissement, des cartes de visite sur lesquelles il était mentionné « [Z] et [Y] adoptent enfant fa’a’amu » suivi de leurs coordonnées.
- Grâce à l’intervention d’un intermédiaire, ce couple est entré en contact avec M. [K] [F] et son épouse, laquelle attendait un enfant.
- Il a été convenu qu’à sa naissance, l’enfant attendu par Mme [F] serait remis à MM. [J] et [H] afin de réduire les difficultés d’une procédure d’adoption et que M. [H] reconnaîtrait l’enfant comme le sien, ce qu’il fit le 23 septembre 2020, par une reconnaissance anticipée de paternité.
- Le [Date naissance 1] 2020, M. [H] a accompagné Mme [F] à la clinique où elle a donné naissance à une fille prénommée [U] qui est sortie de l’établissement, le 2 octobre 2020, avec MM. [H] et [J], Mme [F] ayant regagné son domicile la veille.
- Le 30 octobre 2020, le procureur de la République a ordonné l’ouverture d’une enquête et le 3 novembre suivant, l’enfant a fait l’objet d’un placement provisoire sur une décision du juge des enfants.
- M. et Mme [F] ainsi que MM. [H] et [J] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, notamment, des chefs susvisés.
- Les juges du premier degré ont relaxé les prévenus.
- Le procureur général a relevé appel de cette décision.
Examen des moyensSur le quatrième moyen
- Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
- Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé MM. [H] et [J] du chef de provocation à l’abandon d’enfant, alors que la provocation s’entend, non d’une contrainte, mais d’une influence néfaste conduisant à l’abandon de l’enfant sans qu’il en résulte nécessairement une renonciation par la mère à son lien de filiation ; que tel est le cas, même si ces éléments ne sont pas visés dans la prévention, de la distribution, au sein de la maternité, de cartes de visite par les prévenus indiquant qu’ils sont à la recherche d’un enfant à adopter et du versement d’une somme d’argent qui a facilité l’abandon de l’enfant, quel que soit le montant ainsi que le moment de cette remise, de sorte que la cour d’appel en s’abstenant de rechercher et de qualifier les éléments constitutifs de l’infraction a méconnu l’article 227-12 du code pénal.
Réponse de la Cour
- Pour relaxer les prévenus du chef de provocation à l’abandon d’enfant, l’arrêt énonce que M. et Mme [F] ont pris la décision de confier l’enfant selon la tradition fa’a’amu, dès l’annonce de la grossesse, compte tenu de leur impossibilité matérielle à prendre cet enfant en charge.
- Les juges ajoutent que la distribution par MM. [H] et [J] de cartes de visite, indiquant qu’ils cherchaient à adopter un enfant selon la tradition fa’a’amu et précisant leurs coordonnées, n’est pas une circonstance mentionnée dans la prévention. Ils précisent que cet acte n’a pas visé spécifiquement les époux [F] qui ont été contactés par les prévenus grâce à un intermédiaire et, qu’en tout état de cause, lesdites cartes ne comportaient ni promesse, ni dons, ni menaces, ni un quelconque abus d’autorité.
- Les juges relèvent qu’en outre, quand bien même MM. [H] et [J] seraient à l’origine de l’abandon, l’enquête n’a mis en lumière aucune contrainte ou manoeuvre pour inciter la mère biologique à abandonner l’enfant ou pour obtenir son consentement et que les époux [F] ont confirmé, à l’audience, l’absence de contrainte et leur souhait que leur enfant dernier né échappe à l’action des services sociaux qui a conduit au placement de leurs aînés.
- Les juges précisent que l’engagement d’offrir à l’enfant « une vie meilleure » ou de « maintenir les liens avec l’enfant » ne peut constituer une promesse au sens de l’article 227-12 du code pénal, soit parce qu’il est trop abstrait soit parce qu’il répond à la demande des parents et reste très vague.
- Les juges énoncent, enfin, que s’il est établi qu’une somme d’argent a été remise aux époux [F] par MM. [H] et [J] afin d’assurer la subsistance de la famille et les soins de l’enfant, ce don, dont le montant apparaît dérisoire, n’a pu être déterminant dans la remise de l’enfant alors qu’en outre il a été réalisé postérieurement à celle-ci dans le but d’apporter à ce couple un soutien humanitaire.
- Les juges concluent que la renonciation des époux [F] à l’enfant a été décidée avant l’intervention de MM. [H] et [J] et qu’il n’est démontré l’existence d’aucun don, promesse, menace ou abus d’autorité susceptible d’avoir pu provoquer la remise de l’enfant par ses parents biologiques.
- En se déterminant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application du texte visé au moyen.
- En effet, pour caractériser la provocation au sens de l’article 227-12 du code pénal, les promesses doivent présenter un caractère suffisamment précis et les dons intervenir antérieurement à l’abandon de l’enfant,
- Ainsi, le moyen ne saurait être accueilli.
Sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
- Le deuxième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé MM. [H], [J] et Mme [F] des chefs de faux document administratif et usage, alors que la déclaration de paternité effectuée par M. [H], qui n’est pas le père biologique de l’enfant, auprès de l’officier de l’état civil est contraire à la réalité, de sorte qu’en se bornant à affirmer que M. [H] recherchait l’intérêt de l’enfant et que sa déclaration était de complaisance et non qu’il entendait frauder la loi sur l’adoption, la cour d’appel n’a pas donné l’exacte qualification des faits.
- Le troisième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a relaxé M. [H] du chef d’obtention indue d’un document administratif, alors que ce délit, indépendant de celui de faux et usage, est constitué par le fait de se faire indûment délivrer par une administration publique ou un organisme chargé d’une mission de service public, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un document destiné à constater un droit, une identité ou une qualité ; qu’en l’espèce, la fausse déclaration de paternité, constitutive du moyen frauduleux, a permis de finaliser les démarches administratives auprès des organismes sociaux et administratifs en vue de tromper sciemment l’officier d’état civil qui a reçu la déclaration de naissance, de sorte que la cour d’appel a méconnu la portée des dispositions de l’article 441-6 du code pénal.
Réponse de la Cour
- Les moyens sont réunis.
- La reconnaissance est l’acte libre et volontaire par lequel un homme ou une femme déclare être le père ou la mère d’un enfant et s’engage à assumer toutes les conséquences qui en découlent selon la loi, notamment celle de prendre en charge l’entretien et l’éducation de l’enfant.
- Les articles 316 et suivants du code civil qui la régissent ne subordonnent pas sa validité à la condition de sa conformité à la réalité biologique de la filiation ainsi établie.
- Dès lors qu’une reconnaissance de paternité n’atteste en elle-même aucune réalité biologique, l’acte par lequel une personne souscrit une telle reconnaissance alors qu’elle sait ne pas être le père biologique de l’enfant est insusceptible de caractériser l’altération frauduleuse de la vérité constitutive d’un faux au sens des articles 441-1 et 441-2 du code pénal.
- Pour relaxer les prévenus des chefs de faux document administratif et usage, et obtention indue d’un document administratif, l’arrêt énonce qu’il est constant que la reconnaissance de paternité effectuée par M. [H] est une reconnaissance de complaisance destinée à contourner la procédure d’adoption.
- Les juges relèvent que le prévenu, qui sait ne pas avoir de lien biologique avec l’enfant, s’est engagé par une telle reconnaissance à assumer les conséquences du lien de filiation, notamment, l’obligation de pourvoir à l’entretien et à l’éducation conformément à l’intérêt de l’enfant.
- Les juges ajoutent que l’enfant n’est pas privé de la réalité de sa filiation ni de son droit à connaître ses origines alors que sa filiation maternelle est établie et que la reconnaissance faite par M. [H] peut faire l’objet d’une contestation.
- En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas méconnu les textes visés aux moyens.
- En effet, la circonstance que les prévenus ont cherché à contourner les règles de l’adoption, qui est susceptible de constituer une fraude à la loi au sens de l’article 336 du code civil, est indifférente à caractériser le délit de faux et par voie de conséquence celui d’obtention indue d’un document administratif.
- Les moyens doivent être, en conséquence, rejetés.
- Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00984
Analyse
Titrages et résumés
Cassation criminelle – FAUXC’est à bon droit qu’une cour d’appel a relaxé du chef de faux document administratif, au sens des articles 441-1 et 441-2 du code pénal, l’auteur d’une reconnaissance de paternité qui sait ne pas être le père biologique de l’enfant, dès lors qu’une telle reconnaissance, qui n’atteste en elle-même d’aucune réalité biologique, est insusceptible de caractériser une altération frauduleuse de la vérité. La circonstance que les prévenus ont cherché à contourner les règles de l’adoption, qui est susceptible de constituer une fraude à la loi au sens de l’article 336 du code civil, est indifférente à caractériser le délit de faux document administratif et par voie de conséquence celui d’obtention indue d’un document administratif prévus par les articles 441-1, 441-2 et 441-6 du code pénal
Legifrance, 07/10/2023