Cour de Cassation, Chambre mixte, du 25 octobre 2004, 03-14.219, Publié au bulletin
Cour de cassation – Chambre mixte
N° de pourvoi : 03-14.219
Publié au bulletin
Solution : Cassation sans renvoi.
Audience publique du lundi 25 octobre 2004
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 2002-09-24, du 24 septembre 2002
Président
Premier président : M. Canivet.
Rapporteur
M. Loriferne, assisté de M. Arbellot, auditeur.
Avocat général
M. Viricelle.
Avocat(s)
la SCP de Chaisemartin et Courjon, Me Odent.
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAISAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles 125, 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements qui ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ne peuvent être frappés d’appel indépendamment des jugements sur le fond que s’ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal ; que l’absence d’ouverture d’une voie de recours doit être relevée d’office ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. et Mme X…, agissant en qualité d’administrateurs légaux des biens de leur enfant mineure, ont assigné en réparation du dommage causé à leur enfant la société Polyclinique d’Istres (la clinique) et son assureur, la compagnie UAP devenue Axa, sur le fondement de la responsabilité médicale ; que le Tribunal a ordonné une expertise médicale et alloué une provision aux demandeurs ;
Attendu que l’arrêt a déclaré recevable l’appel interjeté contre ce jugement par la clinique et la compagnie Axa ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le jugement se bornant dans son dispositif à ordonner une expertise et le versement d’une provision, ne tranchait pas une partie du principal, ce dont il résultait qu’elle devait déclarer d’office l’appel irrecevable, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 627 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu entre les parties le 24 septembre 2002 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable l’appel formé par la société Polyclinique d’Istres et la compagnie Axa contre le jugement rendu le 11 mai 1999 par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence ;
Met les dépens exposés devant les juges du fond et la Cour de cassation à la charge de la société Polyclinique d’Istres et de la compagnie Axa ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne in solidum la société Polyclinique d’Istres et la compagnie Axa à payer à M. et Mme X… la somme de 302,79 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille quatre.
LE CONSEILLER RAPPORTEUR, LE PREMIER PRESIDENT,
LE GREFFIER EN CHEF.
Moyens produits par la SCP de CHAISEMARTIN et COURJON, avocat aux Conseils pour M. et Mme X….
MOYENS ANNEXES à l’arrêt n° 223 P (Chambre mixte)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré recevable l’appel interjeté par la Polyclinique d’Istres et la Compagnie Axa courtage IARD contre le jugement du Tribunal de grande instance d’AIX-EN-PROVENCE du 11 mai 1999 ;
AUX MOTIFS QUE, par jugement déféré, le Tribunal :
- retenait que le principe de l’indemnisation était certain (…), – ordonnait un complément d’expertise (…), – condamnait in solidum « pour le compte de qui il appartiendra » la polyclinique et son assureur Axa à payer aux époux X… une provision de 100.000 F ; que les données du litige se sont modifiées en appel, la polyclinique contestant l’origine de l’infection, apparue après la sortie de l’enfant, s’opposant à la déchéance de garantie soulevée par Axa en raison de la non-habilitation de l’aide soignante à pratiquer seule ce test et Axa déniant sa garantie à la Polyclinique d’Istres (…) ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que, contrairement à ce qu’ils soutiennent dans leurs écritures, les époux X… ne démontrent pas : – que leur fille Mandy avait contracté, au cours de son séjour à la Polyclinique d’Istres, une infection nosocomiale ; – que l’origine du lien pathologique indiscutable entre l’infection de la scarification du talon droit et la septicémie se situe, avant la sortie de la clinique de Mandy dans une faute de pratique du test ; qu’il convient donc de réformer la décision et de débouter les époux X… de toutes leurs demandes dirigées contre la Polyclinique d’Istres ;
ALORS QUE le jugement qui, dans son dispositif, se borne à allouer une provision et à ordonner une expertise ne tranche pas une partie du principal et ne peut pas, dès lors, être frappé d’appel indépendamment du jugement sur le fond ; qu’en l’espèce, il était constant que le jugement déféré avait seulement, dans son dispositif, ordonné une mesure d’expertise complémentaire et alloué une provision de 100.000 F aux époux X…, ès qualités de représentants légaux de leur fille mineure ; que dès lors, en ne déclarant pas d’office irrecevable l’appel interjeté par la Polyclinique d’Istres et la Compagnie Axa courtage IARD contre cette décision, la Cour d’appel a violé les articles 125, 272, 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU’en relevant, par ailleurs, que par le jugement déféré, le Tribunal avait retenu que le principe de l’indemnisation était certain, alors que le Tribunal s’était borné dans son dispositif, avant dire droit, à ordonner une mesure d’expertise complémentaire et à allouer une provision de 100.000 F aux époux X…, ès qualités, la Cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis dudit jugement, violant ainsi l’article 1134 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté les exposants de l’ensemble de leurs demandes dirigées contre la Polyclinique d’Istres et son assureur la Compagnie Axa ;
AUX MOTIFS QUE la Polyclinique d’Istres soutient justement que les époux X…, qui ont la charge de la preuve, sont défaillants dans l’administration de celle : – de l’origine nosocomiale de l’infection, – du fait fautif de Madame Y… ; que les extraits des rapports rappelés ci-dessus démontrent en effet, sans être contredits par des éléments médicaux probants, – que l’expert est dans l’incapacité de dater l’origine de l’infection et donc de préciser si elle se situe dans l’acte pratiqué à la clinique ou dans un défaut de soins locaux postérieurs à la sortie de la clinique, ce qui exclut à la fois la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection et la preuve de la faute de réalisation du test imputée à Madame Y… ; qu’il convient de préciser que l’expert a discuté précisément des éléments qui lui étaient fournis, se gardant, faute d’éléments probants, de prendre parti entre deux versions contradictoires relatives à la réalisation du test ; qu’en effet, Madame X… a indiqué à l’expert avoir assisté aux 5 tests de Guthrie faits par Madame Y… aux autres nouveaux nés avant de sortir pour ne pas entendre les pleurs de sa fille au moment de son propre test et qu’elle est ainsi en mesure d’affirmer que Madame Y… a certes bien désinfecté avant scarification mais n’a pas désinfecté à nouveau après scarification, ce qu’a contesté énergiquement Madame Y…, Madame X… a précisé à l’expert (2e rapport) qu’elle ne comprenait pas pourquoi sa parole était mise en doute ; qu’il convient de relever, en réponse à cet argument – par ailleurs non probant, la parole de Madame X… n’ayant pas plus de valeur probante que celle de Madame Y… en raison d’une identique implication dans la solution du litige -, que Madame X… a tout d’abord déclaré à l’expert que Madame Y…, débordée par les soins à dispenser à 23 nouveaux-nés (premier rapport) ne les avait pas désinfectés, qu’entendue dans le cadre du 2e rapport, elle a amodié sa déclaration pour ramener le nombre de tests effectués à 6, et la non désinfection à la phase postérieure à la scarification, que la Polyclinique d’Istres, à la demande de l’expert, a recherché le devenir des 5 autres nouveaux-nés testés le 22.03.1995 par Madame Y… : les attestations des pédiatres pour 4 d’entre eux (le cinquième n’a pu être retrouvé) démontrent qu’ils n’ont présenté aucun épisode infectieux à la suite de ces tests ; que dans leurs conclusions récapitulatives, les époux X… estiment, subsidiairement, que la faute de la Polyclinique d’Istres est démontrée par le fait d’avoir laissé Madame Y…, aide-soignante, pratiquer un acte qui n’entrait pas dans sa compétence professionnelle ; que l’expert a bien précisé que Madame Y…, aide-soignante, n’était pas qualifiée pour pratiquer, seule, ce test. Sans même entrer dans la contestation de cette appréciation expertale formulée par la Polyclinique d’Istres, la Cour observe :- d’une part, que la Polyclinique d’Istres conteste que Madame Y… ait pratiqué, seule, ce test, effectué sous la surveillance d’une sage-femme selon les déclarations de son directeur à l’expert, élément non valablement contesté par une démonstration probante par les époux X… ; – d’autre part, qu’à défaut de démontrer une réalisation du test non conforme aux prescriptions comme il a été indiqué ci-dessus, le lien de causalité entre une éventuelle non qualification et le dommage corporel de l’enfant n’est pas établi ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que, contrairement à ce qu’ils soutiennent dans leurs écritures d’appel, les époux X… ne démontrent pas : – que leur fille Mandy avait contracté, au cours de son séjour à la Polyclinique d’Istres, une infection nosocomiale, – que l’origine du lien pathogénique indiscutable entre l’infection et la scarification du talon droit et la septicémie se situe, avant la sortie de la clinique de Mandy, dans une faute de pratique du test ; qu’il convient donc de réformer la décision et de débouter les époux X… de toutes leurs demandes dirigées contre la Polyclinique d’Istres ;
ALORS QU’une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée en son sein, à moins de prouver l’absence de faute de sa part ; que dès lors, en retenant en l’espèce qu’il appartenait aux époux X… de rapporter la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection de leur bébé apparue à la suite du test de Guthrie pratiqué à la naissance de l’enfant à la Polyclinique d’Istres, ainsi que de la faute de ladite Polyclinique d’Istres, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315 du Code civil ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE nul ne peut se constituer une preuve à lui-même ; qu’en l’espèce, il était constant que le test de Guthrie à l’origine de l’infection avait été pratiqué par Madame Y…, aide-soignante non qualifiée pour effectuer un tel acte médical ; que dans leurs conclusions d’appel, les époux X… soutenaient expressément que la Polyclinique d’Istres avait commis une faute en laissant une simple aide-soignante pratiquer un prélèvement sanguin dans le cadre du test de Guthrie alors que seule une infirmière était qualifiée pour le faire, laquelle faute était en relation causale avec le préjudice subi dès lors qu’il était constant que, selon l’expert judiciaire, il existait une relation certaine entre la pratique du test de Guthrie et l’aseptisation à staphylocoque dont souffrait l’enfant ; qu’en se fondant, pour écarter ce moyen, sur le motif que pour s’exonérer de sa responsabilité, la Polyclinique d’Istres contestait que l’aide-soignante avait pratiqué seule le test litigieux, effectué, selon les déclarations du directeur de la clinique, sous la surveillance d’une sage-femme, la Cour d’appel a violé l’article 1315 du Code civil ;
LE GREFFIER EN CHEF.
Analyse
Publication : Bulletin 2004 MIXT. N° 3 p. 5
Titrages et résumés
Cassation civil – APPEL CIVIL – Décisions susceptibles – Décision d’avant dire droit – Dispositif tranchant une partie du principal – Définition – Exclusion – Décision allouant une provision.
Sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements qui ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ne peuvent être frappés d’appel indépendamment des jugements sur le fond que s’ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal.
L’absence d’ouverture d’une voie de recours devant être relevée d’office, viole les articles 125, 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile la cour qui déclare recevable l’appel interjeté contre un jugement qui ne tranchait pas une partie du principal dès lors qu’il se bornait, dans son dispositif à ordonner une expertise médicale et le versement d’une provision.Cassation civil – PROCEDURE CIVILE – Fin de non-recevoir – Fin de non-recevoir d’ordre public – Absence d’ouverture d’une voie de recours – Applications diverses – Jugement d’avant dire droit – Définition
Cassation civil – JUGEMENTS ET ARRETS D’AVANT DIRE DROIT – Décision ordonnant une mesure d’instruction – Dispositif ne tranchant pas le principal – Applications diverses – Décision allouant une provision
Cassation civil – JUGEMENTS ET ARRETS – Voies de recours – Exercice – Exclusion – Office du juge – EtenduePrécédents jurisprudentiels
Légifrance, 07/10/2023
En sens contraire : Chambre civile 2, 2002-06-27, Bulletin, II, n° 145, p. 116 (cassation) ; Dans le même sens que : Chambre civile 3, 1998-10-07, Bulletin, III, n° 186, p. 125 (cassation) et les arrêts cités ; Sur l’irrecevabilité d’un pourvoi formé à l’encontre d’une décision allouant une provision, à rapprocher : Assemblée plénière, 1997-12-05, Bulletin, Ass. plèn, n° 11, p. 25 (irrecevabilité) et les arrêts cités.
Textes appliqués
Nouveau Code de procédure civile 125, 544, 545